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  • Mohamed Ali Elhaou, Asma Zribi et Ouael Nhidi

Abedlaziz Gorgi renait au Palais Kheireddine à la Médina

Dans cet article, nous revenons sur un événement ayant marqué le monde de l'art au tout début de cette année 2019. En effet, à l'occasion des dix ans de sa disparition, nous sommes allés voir un certain mardi 5 février 2019 une remémoration de l’œuvre d'un grand peintre Abdelaziz Gorgi. C'est la société "Talan" et la galerie Gorgi qui se placent derrière l'idée de l'organisation d'une exposition remettant en actualité la présence et l’œuvre immense et multidimensionnelle d'Abdelaziz Gorgi. Celui-ci est bel et bien le peintre de l'État indépendant : qualification sans aucune exagération, car l'artiste avait signé de sa patte plusieurs édifices nationaux, à commencer par le palais des congrès de la ville de Monastir.


D'ailleurs, sans parler de politique dans ce texte, il est à noter que l'artiste était très proche du président Bourguiba au point que le créateur avait décoré la résidence propre du président dans sa ville natale. Cet aspect lui a valu certains privilèges et un chemin plus facile vers la réussite et l'aura internationale.


L'exposition


L'exposition nommée “Gorgi Pluriel” a ouvert donc ses portes au palais Kheireddine en plein cœur de la Médina du 10 décembre 2018 au 10 février 2019. L’édition 2018 de l’exposition Talan englobe différents aspects du parcours artistique de Gorgi à travers 300 œuvres environ, composées de dessins, peintures gouachées ou au crayon, sculptures, timbres postaux, tapisseries, céramiques, installations picturales et sonores et même certaines reproductions de ces œuvres faites par ses étudiants qu'il avait inspirés remarquablement.


L'idée de cet hommage vient principalement de sa fille, Aicha, qui tout en voulant convier l'esprit de son père, avait aussi en tête le souhait de faire parler de lui collectivement et de se souvenir de son passé en tant que créateur, travailleur de l'art, mais en même temps en tant que personnage public adulé de son vivant. L'exposition semble ne pas être commerciale dans la mesure où la plupart des œuvres sont déjà vendues et sont désormais des propriétés privées. Ce qui fait que les possesseurs de ces œuvres n'ont pas hésité à partager ces beaux moments de reconnaissance ; le temps d'un mois. L'idée est de faire connaitre surtout ces œuvres, tout autant aux visiteurs de la Médina, mais aussi aux jeunes générations qui dans leur grande majorité ne connaissent pas cet artiste prolifique, polyvalent, voire poly-talent.


Une "expo" organisée par ambiance


Le la a été donné par le commissaire de cette exposition Nadia Jlassi le 7 décembre 2018. Cette exposition n'a pas négligé le volet pédagogique. Ainsi, des guides ont été mobilisés pour rendre accessible les œuvres de l'artiste. Ces travaux furent répartis par thèmes et sont bel et bien situés dans l'espace et le temps et sont accompagnés par des articles de presse. Quant aux guides, ils sont le plus souvent des jeunes étudiants des écoles de beaux-arts de Tunis et de Sousse.


À titre d'exemple, au sein du thème intitulé "École de Tunis", nous avons trouvé l’œuvre de Gorgi au milieu d'une panoplie de photographies rappelant la vie de l'artiste en compagnie, entre autres, de Ammar Farhat ou encore du grand Zoubeir Turki. À l'exposition, les peintures sont souvent peu peuplées : les sujets s’imposent sur la toile, amusants, gais, sympathiques et dégageant une grande réalité dans leurs expressions. Ces fresques sont pleines d’humour, d’ironie et sont jubilatoires comme un hymne à l'espoir et à l'espérance. Ses peintures à l’huile, ses aquarelles sont flamboyantes de couleurs et d’une grande modernité.


À vrai dire, l'univers de Gorgi est un peu enfantin. Cet univers est peuplé de couleurs vives et de formes rondes. Les moustaches de certains de ses personnages, leur nez ou l’ovale de leur visage évoquent des individus refusant l'aspect sérieux de la vie et qui mélangent le sacré et le profane sans prise de tête ou une quelconque course derrière le sens de la norme.


Les traces, pour ne pas dire les chefs-d’œuvre, que le peintre a laissées racontent un monde festif, extravagant, nonchalant, peu soucieux et complexe. Ce sont vérités, et non pas des représentations, qui le plus souvent échappent au cadre prédéfini, avec un ton humoristique rendant les situations les plus inextricables, sujettes au rire et à la dérision. Les inspirations de Gorgi sont principalement Picasso et Modigliani, mais il revient très vite à un style indigène et local. C'est ce qui fait sa forte appartenance à l'École de Tunis.


L'École de Tunis


L'École de Tunis était un mouvement artistique désirant faire parler l'art tunisien et ses singularités. Celles-ci sont exprimées fondamentalement dans un style ludique et minimaliste. Le dessein de ce groupement de créateurs, malgré son hétérogénéité culturelle, était de dire que la civilisation musulmane n'est pas et ne serait pas incompatible avec la représentation et le monde de l'art. Aussi, la vocation de cette école était de rivaliser avec l'art occidental dominant. Pour ce faire, une constellation d'artistes s'est donc réuni pour fonder cet art racontant le quotidien arabe dans la ville en toute simplicité, minimalisme et humour. Ce sont en l'occurrence : Ammar Farhat, Yahia Turki, Zoubeir Turki, Hédi Turki, Jellal Ben Abdallah, Ali Bellagha et Pierre Boucherle.


®Asma Zribi

©Asma Zribi


Au jour le jour, pour faire connaitre ce courant à travers le monde et principalement dans les grandes galeries internationales, la communication n'était pas axée sur cette opposition avec l'autre ; alors que le contexte est plus indépendantiste. C'était plutôt un message public mettant l'accent sur des arguments assez simplistes et banals. De ce fait, à propos de cette appellation, selon France Boucherle, l'épouse de Pierre Boucherle, le fondateur et premier président de cette fondation : « Le nom École de Tunis a été trouvé par le rédacteur en chef du journal La Presse, le papier le plus fameux de l'époque, Pierre Girou, qui a dit en plaisantant : "Votre association, c'est l'École de Tunis ! comme l'École de Paris !" Ce nom a plu et il est resté ».


Le nom désigne, du moins à sa création, une association de peintres (français, italiens et tunisiens) qui sont liés donc par des rapports d'amitié. Certains des membres fondateurs comme Jules Lellouche, Moses Levy et Boucherle jouissaient déjà d'une petite reconnaissance locale, surtout auprès de l'élite tunisienne qui était à l'époque vraiment internationale, car composée de Maltais, Italiens et Français en grande majorité, ainsi que de la sphère du pouvoir entre autres beylicale.


Au rythme des expositions et des commandes publiques obtenues par ses membres et des couvertures médiatiques, le sens premier s'est chargé d'autres valeurs, notamment celles de la qualité et de la représentation de la tunisianité. L'appellation, le mode de fonctionnement du groupe, mais essentiellement le contexte historique de l'époque, ont valu à ses membres par conséquent reconnaissance et succès et en même temps beaucoup de critiques aussi. Principale cause : ils étaient perçus comme étant un peu à l'écart de la population. Cette dernière, en réalité, n'a pas su développer le goût pour l'art et pour le beau.


"Gorgi Pluriel" était donc un véritable travail de mémoire accompagné de textes et de très nombreux documents d’archives. Ces derniers sont à creuser plus finement pour permettre aux découvreurs de notre patrimoine ou bien aux férus de celui-ci d'améliorer leurs connaissances artistiques et historiques. Les traces artistiques d'Abdelaziz Gorgi ont réussi, tout de même, à sortir de l'espace esthétique et sont désormais exposées dans l’espace public, par volonté politique peut-être, mais ce qui est sûr, c'est qu'elles croisent le regard des passagers de tous les jours, notamment ceux qui passent à côté de l'entrée du parc Belvédère ; ce qui rend ce grand artiste éternel quoique pas toujours identifiable pour les moins connaisseurs.


Mohamed Ali Elhaou, Asma Zribi et Wael Nhidi



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